Une échelle vers le ciel
Une journée au Temple des Cinq Immortels
Me voici, au pied de la Montagne du Cheval Blanc (白马山 Bai ma shan), minuscule poussière de vie face à son immensité majestueuse. Silencieuse à la fin de l'hiver, je peux sentir le souffle profond de la Terre Mère en son cœur. L'abrupt escalier de pierre s’élève vers le ciel, invitation immobile au défi et à la transcendance. Je lève le regard. Quelque chose d'ancien, d'innommable, s'éveille en moi, alors que je passe devant les derniers jardins du village et leurs buissons de thé couverts de contours de neige.
La Montagne du Cheval Blanc est le sommet le plus occidental de la chaîne de Wudang, célèbre dans toute la Chine comme un centre important de la culture taoïste et des arts martiaux internes, sous la protection d'une puissante divinité, le Guerrier Véritable (真武 Zhen wu). Son aura résonne à travers les sommets et inspire révérence et crainte face à des pouvoirs de l'Esprit inconcevables pour l'esprit humain ordinaire.
S’élever vers le Dao
La nature se dévoile lentement, brute, et l'air froid pénètre dans mes poumons. Je concentre ma respiration dans le bas de mon ventre, ramenant ma conscience au champ de cinabre inférieur (丹田 Dan tain), et entre dans une transe solitaire. Un sac à dos bien rempli sur le dos, une heure de montée m’attend pour atteindre ma demeure taoïste, le Temple des Cinq Immortels (五仙庙 Wu xian Miao). Pas à pas, mon corps se réchauffe et mon sang commence à affluer dans mes membres. Après quelques centaines de marches raides, l'escalier disparaît et je m'engage sur un petit sentier dans la forêt. Les cèdres et les pins ondulent gracieusement dans le vent, les herbes sauvages s'effondrent sous la glace et le silence devient plus profond.
À la fin de l’hiver, les insectes et les oiseaux ne sont pas encore revenus, et il y a quelque chose de frappant dans le calme de la forêt gelée. Petit à petit, le monde chaotique, bruyant et pollué de l’humanité s’estompe en contrebas ; je sens ses exigences quitter mon corps comme si un poids était enlevé de mes épaules. Genre, âge, race, apparences et catégories sociales – mon corps se libère de ces contraintes qui me semblent toujours trop petites et redevient corps de nature pure, corps de pratique.
Même si j’ai gravi ce sentier des centaines de fois maintenant, cette marche demeure sacrée pour moi. Elle purifie mon être des couches d’expériences accumulées dans mon corps et restaure intégrité et unité. C’est le chemin du retour à ce qui est le plus essentiel, ce qui a le plus de sens, à ma raison d’être ou, comme l’appellent les Chinois, à ma raison de venir (来因 Lai yin). Des années d’entraînement m’ont appris à revenir à ce corps de pratique à tout moment. Cela a transformé ma façon de retourner à la société, délivrant au monde une version plus vraie, plus claire et plus puissante de moi-même.
Je continue à grimper et, à environ 1000 mètres d’altitude, le sentier longe un ensemble de fortifications anciennes – des murs de pierre irréguliers par endroits, recouverts de mousse, d’un à deux mètres de haut, s’étendant à travers la forêt. Ces vieilles pierres me rappellent les origines du temple sous la fin de la dynastie Song, à l’époque de l’invasion mongole.
On raconte que cinq érudits hautement qualifiés, venus de cinq directions différentes, se rendaient à la capitale pour passer l'examen impérial, lorsqu'ils furent arrêtés par les troupes mongoles. Au sommet de la montagne, ils unirent leurs forces et construisirent un sanctuaire pour que les gens puissent se réfugier en ces temps chaotiques de guerre. Hommes de savoir et de vertu, chacun avait sa propre spécialité.
Le premier était un sage d'une sagesse et d'une compassion profondes qui pouvait lire le cœur et l'esprit humains. Le deuxième était un guerrier féroce, un maître d’arts martiaux. Le troisième était un alchimiste qui comprenait le cours des étoiles et du destin. Le quatrième était un guérisseur qui connaissait les innombrables secrets de la médecine chinoise et cultiva des centaines d'herbes médicinales sur la montagne. Et le cinquième était un homme de culture qui enseignait la calligraphie et les classiques : sa musique était si céleste que même les bêtes sauvages de la montagne venaient l'écouter.
Ensemble, ils protégèrent et soignèrent les gens, tout en approfondissant leur propre pratique spirituelle. Ils furent élevés au rang d'immortels et le temple fut fondé en leur honneur. Les habitants des vallées voisines les considèrent encore aujourd'hui comme leurs protecteurs. Ils viennent régulièrement offrir de l'encens et brûler des papiers à prières, accomplir des rites lors des moments importants de leur vie et demander l'aide de l'abbé résident en cas de difficulté.
Mon cœur palpite. N'y a-t-il pas une montagne sacrée en chacun de nous ? Un endroit où revenir à notre véritable place entre ciel et terre, à notre nature originelle, incorruptible et lumineuse. Un endroit où dépasser nos limites et nous affranchir des obstructions de l'esprit et du corps qui nous empêchent de toucher l'ultime. J'atteindrai bientôt la porte du temple. J'ai déjà dépassé les petits autels du Grand-Père de la Terre (土地爷 Tu di ye) et des esprits de la montagne. Le sentier, désormais constitué de marches de pierre inégales, devient plus raide.
On dit que le Guerrier Véritable, lors de sa dernière vie humaine, arriva aux Monts Wudang par la Montagne du Cheval Blanc où il s’installa pour pratiquer quelques temps, avant de poursuivre plus loin dans la chaîne de montagne jusqu'à son ascension au sommet du plus haut pic, la Cime d’Or (金顶 Jin ding). Il arriva sur un cheval blanc dont les pas étaient rendus si puissants par la force de l'homme qui le montait qu'ils écrasaient des parties de la montagne sous eux. Ces traces subsistent aujourd'hui sous la forme de plates-formes plates à côté des falaises.
Je m’arrête un instant, m’accroupis sur mes talons et savoure la vue à couper le souffle : les sommets se succèdent jusqu’à s’évanouir dans l’horizon bleu, sous des vagues de nuages qui s’écoulent comme des eaux floconneuses. J’entends un bruissement et me retourne pour apercevoir trois des oiseaux les plus majestueux des montagnes : les faisans dorés sauvages. Leur queue est plus longue que mon bras et leur corps entier est couvert de plumes d’un bleu, vert, jaune et rouge éclatants. Cette explosion de couleurs vives dans la froideur de l’hiver les rend irréels, comme s’ils étaient des messagers d’autres dimensions.
Je me souviens que l’alchimiste médiéval Ge Hong 葛洪décrit métaphoriquement les immortels célestes comme des êtres à plumes (羽士 Yu shi), car on dit que des plumes poussent sur leur corps au cours de sa transmutation dans le processus de sublimation vers l’immortalité.
Tout s’arrête. La seule chose qui reste est l’instant. Les taoïstes préfèrent les hauteurs montagneuses pour leur pratique car ils sont plus proches du ciel et plus éloignés du monde terrestre de la poussière rouge. Ils étudient les lignes d’énergie de la montagne, appelées veines du dragon (龙脉 Long mai) et choisissent les endroits les plus propices et favorables pour établir leurs temples. Génération après génération, ces lieux accumulent l’énergie cosmique vitale (气 Qì). Ils fonctionnent comme des portails vers des dimensions supérieures.
Je sais que c'est le dernier tournant avant d'atteindre le temple. Je passe devant le dernier autel de l’ascension, dédié au Roi Dragon (龙王 Long wang), le maître des eaux. Nous l'avons prié à plusieurs reprises pour qu'il pleuve en période de sécheresse. Gravissant les dernières marches, je me retrouve face à l'arche de pierre de l’entrée, ornée de caractères gravés signifiant « La selle d’or ». Je la traverse pour pénétrer dans la cour antérieure, où s’élève la tour de briques à l’intérieur de laquelle sont brûlés les papiers à prière et l’argent votif, pointant vers le ciel pour transmettre des vœux au ciel. La nuit tombe, le temple est recouvert de neige, le crépuscule est paisible et pur.
La porte principale du temple est fermée mais pas verrouillée, et le bois craque lorsque je l'ouvre, passe la porte et la referme derrière moi. Je me retourne et fais face à l'autel du Commandant des Officiels Divins (灵官爷 Ling guan ye), une divinité protectrice féroce qui me regarde directement avec ses trois yeux. Mon cœur frémit et tout mon corps tremble doucement tandis qu’il reprend des forces, comme si certaines parties essentielles de mon Qi avaient été laissées entre ces murs, ces pierres, et me revenaient à présent. Les taoïstes considèrent que les rencontres et les relations importantes de nos vies sont prédestinées, car nous sommes entrelacés dans la tapisserie du destin par des causes mystérieuses invisibles à l’œil humain. Ils appellent cela « l’affinité prédestinée » (缘 分 Yuan fen). Je pose mon sac à dos, fais trois pas en avant, m’agenouille et m’incline devant l’autel du protecteur dans une dévotion totale.
Je suis arrivée. Je suis chez moi.
Honorer le corps du temple
Les journées commencent tôt au temple. Je me réveille avant le lever du soleil et m’arrache aux couvertures empilées sur la planche de bois qui fait office de lit, avant que la tentation de me blottir plus longtemps dans leur chaleur ne me prenne. Il n’y a ni chauffage ni isolation, et il fait froid et humide. J’ajoute des couches de vêtements, puis les couvrent d’une vieille robe taoïste que je boutonne rapidement sur le côté avant que mes doigts ne commencent à geler. Je rassemble mes longs cheveux sur le dessus de ma tête, les attache, les fixe avec une épingle à cheveux en argent en forme de dragon, et les enroule dans le chignon traditionnel taoïste qui représente l’unification du yin et du yang dans l’unité ultime. Je bois une tasse d’eau chaude et m’essuie le visage. L’eau fume dans l’air froid ; la chaleur de la serviette sur mon visage achève de me réveiller.
Je sors rapidement de ma chambre dans la cour centrale. Le temple est structuré de manière traditionnelle, avec un strict respect des règles du Feng Shui. L’autel principal s’ouvre sur la cour centrale, autour de laquelle les pièces sont disposées en carré. La nuit est encore sombre et silencieuse, et le ciel est animé de myriades d'étoiles éclatantes qui semblent plus proches de la terre que d'habitude. L'air est très pur, et je ressens l'espace tout autour du temple et de la montagne avec son silence absolu. C'est l'un de mes moments préférés, lorsque le temple est presque vide, indifférent au bruit de nombreux esprits humains, après que l'hiver et la neige l'ont nettoyé de toute l'activité des saisons plus chaudes.
Je traverse la cour, me dirige vers la salle commune et pousse la porte de la cuisine. Alors que j’allume la lumière, deux caractères peints en noir sur le mur affichent des traits raffinés : 心斋 Xin zhai, ils murmurent, « jeûne du cœur-esprit ». Le Temple des Cinq Immortels est un petit refuge de montagne et en hiver, un véritable ermitage. Loin de l’exposition constante de la société aux distractions et aux mondanités, profondément niché dans la nature où il faut travailler plus dur pour maintenir les nécessités de base, son environnement à lui seul induit la purification.
Je saisis un récipient en plastique, j’ouvre le grand tonneau bleu où nous stockons l’eau potable et je remplis le chauffe-eau électrique, afin que l’eau chaude soit disponible pour les autres résidents lorsqu’ils se réveillent. Les taoïstes, tout comme les Chinois en général, préfèrent boire de l’eau chaude ou tiède, pour protéger le feu de la Porte de la Vie (命门 Ming men), l’énergie ancestrale thésaurisée dans les reins.
Je sens la nuit s’estomper. Je traverse la cour centrale pour me rendre au sanctuaire principal, dédié aux Cinq Immortels. Je rassemble ma conscience dans mon corps et fais taire mes pensées en entrant par une porte latérale. Leur présence à cet autel me remplit d’un sentiment de paix profonde. Il est à peine éclairé par la faible flamme d’une lampe spirituelle – une vieille lampe à huile qui brûle en permanence, gardant un feu qui ne s’éteint jamais. J’ajuste soigneusement sa mèche et la remplis d’huile de sésame. La flamme grandit et illumine leurs statues majestueuses.
Avec une bougie, j’allume lentement une poignée de bâtonnets d’encens. C’est un geste fondamental de dévotion et de rituel du taoïsme, l’encens étant un moyen de communication privilégié avec les dimensions supérieures, car il transporte les prières à travers sa fumée du monde de la forme vers celui du sans-forme. Chaque jour à l’aube et au crépuscule, l’encens est offert avant d’ouvrir les autels pour la journée et avant de les fermer pour la nuit.
Tenant les bâtons à deux mains devant mon front, je murmure rapidement l'incantation de la prière de l'encens (祝香咒 Zhu xiang zhou) d'un seul souffle. Un canal s'ouvre dans l'invisible. J'offre l'encens, saisissant du bout des doigts chaque bâtonnet avec un sceau de main spécifique. Ensuite, j'ouvre la porte principale du sanctuaire et je sors dans la cour. De là, je marche en un grand cercle autour du temple, procédant à l'offrande d'encens à chaque autel à tour de rôle avant d'ouvrir leurs portes respectives.
Le temple dans son ensemble est structuré comme un corps humain, avec des autels installés aux endroits de pouvoir correspondant aux centres énergétiques clés du corps. Ainsi, l'autel principal en est le cœur, le champ de cinabre médian.
La main droite est constituée par l'autel de la Dame des enfants et des petits-enfants (子孙娘娘 Zi sun niang niang), une déesse qui accorde la fertilité et la descendance. Chaque année, de nombreux couples se présentent devant son autel pour demander de l’aide - pour concevoir, pour protéger la grossesse ou les nouveaux-nés. La tradition est de faire une promesse avec la requête. Une fois le vœu exaucé, les familles reviennent pour tenir leur promesse en faisant des offrandes, et ils confient à l'autel une poupée qui représente l'enfant. Chaque année, de nouvelles poupées apparaissent. L'autel abrite en fait trois divinités féminines, dont les statues ont été polies par le temps. Immortelles ascensionnées, transmetteurs de sagesse par le biais de révélations d’écritures sacrées, métaphores cosmiques liées aux étoiles, chacune d'entre elles détient un pouvoir tangible.
A l’arrière du temple, à l'emplacement de la tête et du champ de cinabre supérieur, se trouve l'autel de la grande déesse de la compassion, une bodhisattva connue sous le nom de Celle qui contemple les sons du monde (观世音 Guan shi yin) et qui dans le taoïsme est appelée la Vénérable céleste de la délivrance universelle (普渡天尊 Pu du tian zun). Marqueur de l'interaction dynamique du taoïsme avec le bouddhisme, elle a de nombreux noms et formes mais une seule signature énergétique. Au fond du temple, son autel est également l'espace où sont installés notre armoire médicinale et notre espace de soin.
La main gauche est marquée par l’autel du Dieu de la Fortune (财神爷 Cai shen ye), avec une montagne miniature de pièces de monnaie et de lingots d’or à ses pieds. Porteur d’abondance et de richesse, il est très populaire et les gens viennent inévitablement à lui lorsqu’ils ouvrent une entreprise ou commencent un nouvel emploi. Il y a quelque chose de chaleureux et de réconfortant dans son champ.
À l’entrée du temple, à l’emplacement du champ de cinabre inférieur, se trouve l’autel du Commandant des Officiels Divins, gardant le passage par lequel tous doivent passer. Grand général de tous les esprits, il travaille pour les dimensions supérieures, se déplaçant en un instant du plus bas des enfers au plus haut des cieux. Erigé à l’entrée du temple, il en est le gardien. Il a également le pouvoir de commander aux démons et aux fantômes, et son incantation est utilisée pour éloigner le mal. Elle peut être utilisée pour soigner des personnes dans des états de troubles psychiques avancés, souvent diagnostiqués comme schizophrénie ou psychose dans le système médical occidental.
Il y a d’autres autels dans le temple et à travers la montagne. Par exemple, dans la salle commune, une tablette en bois représente l’autel du Dieu de l’âtre (灶神 Zao shen), censé vivre dans le foyer et protéger la nourriture. Traditionnellement, le feu de la cuisine et le wok sont sacrés. Il est proscrit d’y jeter des déchets pour les brûler, et le wok ne doit jamais être frappé ou manipulé de manière irrespectueuse. Toute personne qui cuisine ou s’occupe du feu doit être de bonne humeur, et les disputes ne doivent pas avoir lieu dans cet espace. Ainsi étaient maintenues la qualité énergétique de la nourriture et l’harmonie de la communauté.
A la porte de la résidence de l’abbé, un morceau de bambou fixé au montant sert de porte-encens. Nous y offrons de l’encens pour honorer son autel personnel, érigé à l’intérieur de la pièce, et pour rendre hommage à la lignée, tenue pour sacrée et soigneusement consignée à travers les siècles. Nous faisons partie de la lignée du Pur Yang (纯阳 Chun yang) qui a fusionné avec la lignée de la Porte du Dragon (龙门 Lóng mén) de l'école taoïste de la Réalité Complète (全真 Quan zhen). Elle a son propre poème, et lorsqu'une nouvelle génération est ordonnée, elle reçoit comme nom religieux le caractère du poème qui correspond au rang de sa génération. La première strophe du poème est la suivante :
道德通玄静
Le Dao et la vertu communient avec le mystérieux silence,
真常守太清
La vraie constance garde la suprême clarté,
一阳来复本
L’unique yang advient et retourne à la source,
合教永圆明
L'enseignement unifié est à jamais entier et lumineux,
至理宗诚信
Le plus haut principe est l'ancêtre de la sincérité et de la foi,
崇高嗣法兴
Sublime et élevée est la continuation du fleurissement de la loi.
Ma génération est la 24ème, nous sommes donc tous appelés Cheng 诚, « sincérité » ou « honnêteté ». Recevoir ce nom nous rappelle que vingt-trois générations de pratiquants nous ont précédés, que vingt-trois maîtres de lignée ont consacré leur vie à la pratique et à sa transmission. Nous recevons des enseignements qui ont été affinés et vérifiés à travers de multiples expériences de vie.
Entrer dans une lignée est comme entrer dans un flux de conscience et de sagesse qui a été affiné, accumulé et transmis d’une génération à l’autre. Cela signifie que nous ne sommes pas seuls sur le chemin et que nous bénéficions constamment des conseils et de la protection de nos aînés ainsi que de la compagnie de nos sœurs et frères de génération. Cela signifie également que nous avons le devoir en tant que disciples de déployer tous nos efforts dans l’étude et la pratique des enseignements et de nous soutenir mutuellement sur le chemin.
Une fois l’offrande d’encens terminée, je prépare une offrande de thé que j’apporte à l’autel principal pour chanter le Service du matin (早功课 Zao gong ke). Les chants déploient un recueil d’écritures sacrées qui purifient et à renforcent le corps, l'esprit et l'espace du pratiquant. Leurs enseignements contiennent des directives de pratique profondes, et invoquent les pouvoirs cosmiques et les ancêtres de la lignée. Chaque jour, à l'aube et au crépuscule, des cérémonies de récitation des écritures ont lieu dans tous les temples de la Porte du Dragon.
Je me tiens près de l’autel, j’ouvre le livre sacré et je prépare les instruments rituels. J’unifie mon esprit à mon souffle, et ma voix s’ouvre. Elle remplit l’espace, voyage dans l’air, résonne avec le ton juste et commence à chanter, guidée par le rythme du vieux poisson en bois (木鱼 Mu yu). Il est fissuré, sculpté par le temps, et possède son propre esprit. Le poisson en bois correspond au foie et harmonise les âmes éthérées (魂 Hun). La cloche en métal, quant à elle, correspond aux poumons et purifie les âmes corporelles (魄 Po).
Au fur et à mesure que les chants se déploient, l’espace dans l’autel change, mon corps change, mon souffle change. Petit à petit, une fréquence de vibration s’établit et imprègne tout. Elle est lumineuse, intense, dense comme l’or et extrêmement pure. Les chants du Service du Matin sont de qualité yang : ils canalisent les dimensions les plus élevées de la lumière constante et éternelle en ce monde.
Pour conclure le rituel, je déplie en éventail un assemblage de feuilles jaunes, papiers à prières couverts de caractères rouges et monnaie votive, et les brûle dans le fourneau de la cour d’entrée du temple. Le soleil est sur le point de se lever au-dessus de l'horizon et je m’élance en courant vers le sommet de la montagne. Une dizaine de minutes plus tard, j'atteins le sommet en reprenant mon souffle, le sang affluant dans mon corps. Il est l’heure du Qi Gong du matin.
Cultiver le champ énergétique
Je savoure le calme et la solitude du sommet de la montagne, absorbant chaque particule du lever du soleil pendant que je pratique malgré le vent glacial. C'est le meilleur moment de la journée pour rassembler et accumuler le Qi yang. Il nourrit la vitalité, restaure la santé, renforce le champ énergétique et soigne le corps, en particulier les yeux. Maintenir une pratique quotidienne de Qi Gong au lever du soleil est une exigence nécessaire pour tout praticien de médecine taoïste. La force du champ énergétique personnel pose les bases du travail thérapeutique.
Je termine ma pratique par une longue période de méditation en posture debout (站桩 Zhan zhuang). Immobile et concentrée, je laisse ma respiration ralentir tandis que je sens mon corps restaurer sa structure selon ses lignes de forces originelles. Mon champ énergétique s'ouvre et s'unifie avec la nature, le Qi s'accumule dans le champ de cinabre. Le temps s'arrête, un pilier de lumière se développe autour de moi.
Le son perçant d'un sifflet, venant du temple principal, me sort de mon absorption. Je vais être en retard pour le petit-déjeuner ! Je descends les escaliers en courant et quelques minutes plus tard, je suis de retour dans la cour. La petite poignée de résidents du temple pendant l’hiver se rassemble dans la salle commune. Zhen Gu, une grand-mère et disciple de l'abbé précédent, résidente depuis de nombreuses décennies, est responsable de la cuisine. Nous partageons les plats simples de nouilles et de légumes marinés qu'elle a préparés et mangeons en silence, interrompus seulement par des bruits de succion.
Après le petit-déjeuner, il est temps de nettoyer le temple. Nous nous répartissons les tâches et nous nous relayons pour nous assurer que tout est fait : balayer les cours, nettoyer la salle commune, vider les poubelles, remplir les barils d'eau, etc. Aujourd'hui, je suis de service pour les toilettes. Je descend un petit chemin latéral qui s’éloigne du temple vers le nord. Le nord est la direction pour construire les toilettes et tout ce qui est lié à l'eau comme élément de purification selon la cosmologie taoïste et l'arrangement du ciel postérieur des huit trigrammes. Les toilettes sont constituées de tranchées qui se déversent dans un réservoir au-dessus duquel les gens s’accroupissent pour déféquer. Je prends un seau, le remplis dans une mare voisine et je déverse l’eau dans les tranchées pour pousser les excréments restants dans le réservoir. Après quelques seaux supplémentaires, les toilettes pour hommes et pour femmes ont été correctement vidées. Je lave les lavabos et passe la serpillère sur le sol. Il fait froid. L’eau me mord les doigts.
Vivre en communauté
Au sommet de la montagne, se dresse majestueusement un temple de marbre blanc dédié au Guerrier Véritable. Il n'a été construit qu'en 2011, et je me souviens encore de l'autel précédent : une petite cabane tordue, à peine assez grande pour une personne, faite de planches de bois qui avaient été tellement abîmées par les éléments qu'elles semblaient presque transparentes. La façon dont il a été reconstruit pour devenir ce joyau est exemplaire du travail accompli sur la montagne par son gardien actuel, l'abbé du Temple des Cinq Immortels, Li Shifu (兴德 Xing de, d’un de ses noms taoïstes).
Li Shifu a vécu sur la montagne pendant près de trois décennies. Lorsqu'il est arrivé, le temple n'était qu'un ensemble de bâtiments délabrés. Comme tout autre site religieux en Chine pendant la révolution culturelle, il avait été saccagé et vandalisé. Il était maintenu en vie par l'esprit d'une vieille renonçante, 陶法真 Tao fa zhen, une adepte avancée de l'alchimie interne et de la médecine taoïste.
Li Shifu devint son disciple et ils vécurent ensemble dans une pauvreté absolue jusqu'à son ascension. Pendant de nombreuses années, il travailla seul à la reconstruction du temple, coupant des arbres pour en faire des poutres, modelant de l'argile pour fabriquer des briques et des tuiles qu'il faisait cuire dans un four en terre et transportait sur son dos. Après une décennie à ce régime, et alors que la Chine s'ouvrait à nouveau aux étrangers, les premiers voyageurs arrivèrent à Wudang. Li Shifu consentit à leur enseigner et à accepter leurs dons pour continuer son travail, transformant au fil du temps le temple en un centre de formation international unique.
Quand je suis de retour dans la salle commune, Li Shifu a terminé sa routine matinale et est assis à la table pour planifier la journée. Je le salue et, avec quelques autres de ses étudiants seniors, nous discutons du travail à réaliser.
Malgré tout ce qu’il a accompli, Li Shifu a conservé le même mode de vie, fait de travail acharné, de frugalité, de dévouement et de beaucoup de créativité et d’humour. J’apprécierai toujours l’opportunité de partager des moments de la vie quotidienne avec lui, d’apprendre de chaque petite chose à faire.
C’est un personnage unique, sauvage et féroce, mais patient et compatissant – un réseau complexe de connaissances, d’expériences et de pouvoirs, dont l’étendue est à peine visible à l’œil humain. Il me fait penser à un vieux chef amérindien, un homme de la taille des légendes, mais marqué par la dureté de l’Histoire. Il m’a transmis tout ce que je sais sur le taoïsme, et j’ai appris le chinois de sa bouche. Sa profondeur et l’étendue de sa compréhension continuent de m’étonner, de l’alchimie à la médecine, des arts martiaux aux rituels, tout comme sa remarquable capacité à extraire l’essence de chaque art selon les principes de la culture de soi.
Je l'ai vu communiquer par les rêves et à distance, guérir des personnes malades avec de l'eau pure, reconnaître une centaine de plantes médicinales sauvages en une promenade de dix minutes et débloquer son dos blessé après une chute d'un toit en une demi-heure de pratique martiale intense. Je l'ai également vu tituber après avoir trop bu lors d'une réunion officielle, rester assis pendant des heures dans la cour du temple, les nuits d’été, à guetter des ovnis dans le ciel nocturne, et passer une journée entière sur son ordinateur à essayer de télécharger des documentaires avec une connexion Internet très lente. Comme il le dit toujours, il n’est qu’une personne ordinaire. En quelque sorte.
Notre tâche aujourd'hui concerne le système d'eau. Peut-être parce qu'il a gelé la nuit dernière, quelque chose ne fonctionne pas et l'eau ne coule plus dans les réservoirs. Le système de distribution d'eau de la ville est trop loin, donc toute l'eau utilisée au temple provient des sources de la montagne. Le système nécessite un entretien régulier : il a souvent des problèmes. Lorsqu'il fait trop froid, la tuyauterie gèle et nous devons transporter l'eau dans des seaux suspendus à des palanches. Aujourd'hui, nous allons inspecter le réseau de tuyaux qui traverse la forêt entre le temple principal et les réservoirs.
Il y a une première sensation de printemps dans l'air. Je scrute le sol, essayant de distinguer des traces de végétation dans la neige. Bientôt, la montagne deviendra verte et je pourrai retourner à la cueillette des herbes médicinales sauvages. Je me souviens que cette courbe du sentier était autrefois envahie d’épimèdes (淫羊藿 Yin yang huo), que ce rocher était couvert de chèvrefeuille (金银花 Jin yin hua), que ce ruisseau arrosait des ophiopogons (麦门冬 Mai men dong). Je ne peux résister à caresser les minuscules feuilles d’une violette (紫花地丁 Zi hua di ding) qui percent dans le sol froid. J’aime les plantes sauvages et la façon dont Li Shifu m’a appris à les utiliser, toujours dans des situations réelles en prenant soin d’étudiants malades, en allant les cueillir au creux de la forêt, avant de préparer une décoction corsée sur un feu de bois, ou de rouler des pilules au miel raffiné sur le wok.
S’entraîner aux arts martiaux internes
En une heure, le problème d'eau est réglé et nous avons du temps libre pour nous entraîner avant le déjeuner. Je passe en revue les méthodes de Gong Fu de la lignée, qui sont la spécialité du temple. Après m'être échauffée et étirée, je pratique d'abord le Grand Gong (大功 Da gong), une séquence d'arts martiaux internes composée de mouvements, postures et frappes intenses combinés à une respiration spécifique pour conditionner le corps physique et renforcer le Qi dans le champ de cinabre. Mon corps a perdu un peu de tonus musculaire au cours des mois d'hiver et effectuer l'ensemble de la série exige des efforts.
Couverte de sueur, je pratique ensuite la forme des Cinq dragons de la Grande ourse de Wudang en huit pas, une ancienne version du Ba Gua Zhang. Elle combine des marches en cercle et des séquences d'émission de puissance sur des motifs en yin-yang élaborés, qui reproduisent la structure cosmique de la vie, de l'ADN aux constellations. Mon corps s’ancre dans mes pas tandis qu’il se déploie dans les mouvements, répétés des centaines de fois au cours d’années d’entraînement. Même si je manque encore de vitesse et de puissance, la forme active le Qi et commence à générer un champ d’énergie qui fusionne avec mon corps. Pour conclure, je pratique également l’épée du Cœur du dragon du même système, la forme d’épée des Cinq dragons de la Grande ourse de Wudang, une forme complexe et magnifique dont les motifs imitent les orbites des planètes, du soleil et des étoiles. Le tranchant de l’épée induit une clarté dans mon mental, une luminosité dans mon esprit, tandis que l’énergie s’accumule dans les mouvements en spirale de la forme.
Ces pratiques sont plus que de simples arts martiaux. Elles ont été transmises à Li Shifu par son dernier maître, 刘理航 Liu Li Hang, un renonçant centenaire et le maître de transmission de la lignée du Pur Yang, au cours des dernières années de sa vie. L’entraînement m’a beaucoup appris. Lorsque je suis arrivée au temple pour la première fois, j’étais loin d’être une adepte des arts martiaux. Les premiers mois de mon entraînement ont été très inconfortables et j’ai d’abord développé une forte aversion à l’entraînement aux mouvements fondamentaux, tels que les coups de pied, les coups de poing, les sauts et les nombreuses postures douloureuses. Je devais les pratiquer pendant des heures chaque jour mais je n’en voyais pas l’intérêt. Avec le temps, j’ai commencé à comprendre que cet entraînement physique intensif de répétitions amères me permettait de conditionner mon corps à agir comme un puissant récipient pour des intensités d’énergie plus élevées. Egalement, il tempérait mon mental et mon esprit pour faire face aux défis les plus difficiles de la vie sans perdre ma direction et ma vertu intérieure. Ce n’est qu’une fois ces bases posées que j’ai commencé à apprendre le contenu plus profond des formes, en constatant à quel point elles sont étroitement liées aux cérémonies taoïstes. Méthodes de pas rituels qui cartographient les constellations, sceaux des mains et incantations cachées au plus profond des formes, cette pratique est bien plus qu’un art martial. Elle est considérée comme un acte chamanique qui, s’il est exprimé à son plein potentiel, génère un portail interdimensionnel.
En terminant mon entraînement, je me souviens à quel point je suis minuscule, à quel point l’apprentissage et la pratique sont vastes, et à quel point je retombe facilement dans mes vieilles habitudes et ma zone de confort. Le taoïsme dans sa forme traditionnelle n’est pas un chemin facile, mais peut être décrit comme une science permettant d’extraire le meilleur du potentiel humain – par pure compression. Comme le dit le dicton, « la quête du Dao se fait dans l’amertume » (道在苦中求 Dao zai ku zhong qiu).
Répondre aux situations telle qu’elles se présentent
Pour le déjeuner, nous mangeons tous ensemble assis autour de la grande table de la salle commune un repas de riz accompagné de plusieurs plats savoureux de légumes sautés au wok. Après le repas, nous avons un peu de temps pour nous reposer et je fais une petite sieste. Il y a encore du travail à faire dans l'après-midi. Aujourd'hui, nous fendons du bois pour alimenter le fourneau de la cuisine. Des troncs ont été rassemblés derrière le hangar et nous les scions en tronçons avec une vieille scie électrique qui chauffe sans cesse, avant de les fendre à la bonne taille avec une hache. Le travail est mi-jeu, mi-effort. J'aime jouer avec les tronçons d'arbres en les plaçant en équilibre sur la souche, avant de les fendre d'un coup rapide avec la petite hache. De temps en temps, je rate la tronçon, ou il y a un nœud dans le bois et j'ai du mal à le couper avec la hache. Deux heure plus tard, nous transportons le bois et l'empilons dans le hangar pour le faire sécher.
De retour dans la salle commune, Li Shifu est en train de discuter avec une femme du village. Elle semble inquiète et je comprends rapidement qu'un membre de sa famille souffre d'un problème de santé sans remède ni traitement dans le système médical, occidental ou chinois. L'abbé écoute son histoire, puis s’absorbe un moment en lui-même, adossé les yeux mi-clos. Puis il m’appelle et m'envoie tirer un hexagramme à l'autel principal.
Je reviens bientôt avec six lignes yin-yang dessinées sur un papier de prière pour interprétation. Li Shifu utilise une méthode complexe de lecture des hexagrammes, appelée méthode des Hexagrammes du Roi Wen (文王卦 Wen wang gua) ou méthode des Six Lignes (六爻 Liu yao). Elle permet au devin qualifié de découvrir des informations très détaillées, y compris les causes, les facteurs et les évolutions au fil du temps. Bien qu'elle puisse être utilisée pour tout, du commerce aux prévisions météorologiques, Li Shifu l'utilise presque exclusivement pour les questions de santé, et c'est ainsi qu'il m'a appris à l'utiliser. Je fais de mon mieux pour calculer les données temporelles avec chaque ligne selon les cinq phases (五行 Wu xing) et je m’efforce encore à saisir toute la dynamique, que Li Shifu décrit déjà l'information complète.
Selon sa lecture, la maladie est causée par un champ d'énergie invisible, lié à la mort d'un ancêtre. Elle peut être traitée en effectuant un rituel. La villageoise appelle son fils pour qu'il rassemble et apporte le matériel nécessaire. Il arrive une heure plus tard et je les aide à disposer les cinq sortes d'offrandes rituelles sur l'autel, tandis que Li Shifu prépare la pétition qui sera brûlée et envoyée au Ciel. Avec un pinceau fin, il trace au cinabre en petits caractères sur un papier à prière spécial les termes de la requête officielle pour que ce membre de la famille soit délivré de la souffrance. Il dit souvent que ce genre de travail ressemble à une négociation et il ressort parfois du rituel avec l'air un peu fatigué.
L’encens du soir est offert au coucher du soleil, baignant les montagnes de vagues de lumière qui s’estompent en nuances de violet. Nous nous rassemblons dans le sanctuaire principal pour chanter le Service du soir (晚功课 Wan gong ke). Exécuté au crépuscule, il résonne avec le monde yin et ouvre un portail à travers les couches des dimensions spirituelles pour délivrer les âmes fragmentées des humains disparus qui n’ont pas complètement achevé leur transition après la mort. À mi-chemin du rituel, l’air dans le sanctuaire devient lourd et épais, et je commence à avoir le vertige. Li Shifu présente la pétition en chantant d’une voix profonde et résonante. Après une autre offrande d’encens, de nourriture froide et d’eau claire, la pétition est brûlée tandis qu’il la recouvre d’un talisman invisible. Le papier de prière s’enflamme jusqu’au plafond avant de se transformer en cendres qui flottent légèrement jusqu’au sol. L’air s’éclaircit aussitôt. Tout le monde se tient debout en silence ; une paix profonde s’installe. La famille appellera Li Shifu une semaine plus tard pour lui faire savoir que leur parent va mieux. Il se réjouit de la nouvelle, puis la balaye d’un geste et passe à autre chose.
Retour à la pureté et au calme
L’heure du dîner est arrivée et tout le monde a faim. La vieille cuisinière a cuit à la vapeur des petits pains frais, qu’on mange trempés dans une soupe de maïs, et assaisonnés de tofu fermenté. Ensuite, nous discutons de la préparation des séminaires et formations internationales de l’année à venir. Chaque résident a ses propres tâches à accomplir - gérer la mise en ligne du site internet, des inscriptions des étudiants et de produire de nouveaux contenus sur le taoïsme. La nuit enveloppe lentement le temple d’une obscurité veloutée, tandis que nous terminons notre journée par la méditation.
Je vais m’asseoir devant l’autel de Guan Yin tout au fond du temple, là où tout est le plus calme. La faible lumière de la lampe du sanctuaire, les volutes parfumées de la fumée d’encens – il y a quelque chose de grandiose dans le silence. J’ajuste ma posture pour m’asseoir les jambes croisées sur un petit coussin placé sur une fine natte. Je ramène mon souffle dans le champ de cinabre inférieur et ferme les yeux pour ne laisser qu’une fente ouverte entre mes paupières pour que la lumière y pénètre.
Pendant ce qui me semble un long moment, mon esprit se décharge d'un impressionnant fouillis de souvenirs, d'images, de pensées et de sons mélangés, nettoyant les couches superficielles de ma conscience. Je persévère, revenant encore et encore à l'objet de ma concentration, jusqu'à ce que l'agitation se calme enfin. Un espace intérieur s'ouvre et se déploie. Ma respiration ralentit, mon corps se libère des tensions accumulées, mes centres énergétiques vibrent et deviennent plus chauds. Je sens le sommet de ma tête s'ouvrir et s'étendre dans le cosmos. Mon souffle tombe au champ de cinabre inférieur et je plonge dans l'oubli, un état comme au bord du sommeil, mais sans dormir. Le monde disparaît. Je disparais.
Quand je reviens, je n'ai aucune idée du temps qui s'est écoulé. Je me sens fraîche et reposée. Tout est silencieux, et je n'entends que le son cristallin des flocons de neige qui se déposent alentour. Je sens les étoiles briller derrière le toit, et les mouvements orbitaux des corps cosmiques dans le ciel. Je reste là longtemps, dans un espace si pur et tranquille. En paix.
誠鳳 CHENG FENG LoAn Guylaine Tran
Cet article a été publié pour la première fois en anglais dans Journal of Daoist Studies 13 (2020), 152-69, édité by Livia Kohn
Traduction française de l’auteure
Le titre « Une échelle vers le ciel » s'inspire du célèbre poème alchimique attribué à Lü Dong Bin « Stèle aux cent caractères de l'ancêtre Lü » (吕祖百字碑 Lu zu bai zi bei).
1 La divinité est également appelée le Guerrier Sombre ou Mystérieux (玄武 Xuanwu) et, plus formellement, le Grand Souverain Guerrier Sombre (玄武大帝 Xuan wu da di) ou le Souverain Suprême du Ciel Mystérieux (玄天上帝 Xuan tian shang di).